Estorias : introduction

           Les quelques récits retranscrits ici sont tous ceux que mon grand-père m’a racontés alors que j’étais enfant. Celui-ci, né en 1900, a vécu à Mollières jusqu’à la destruction du village en 1944, et ces contes et légendes constituent une partie plus ou moins incomplète - je ne saurais dire - du fonds de littérature orale qui se racontait effectivement à cette époque lors des veillées et dont les grands-pères nourrissaient l’imaginaire de leurs petits-enfants.

           Certains de ces contes sont des contes pour enfants, soit des contes merveilleux, soient des légendes mettant en scène l’environnement réel des Molliérois, d’autres semblent destinés à un public adulte et alimentaient les veillées d’hiver, tout comme quelques petits récits humoristiques.

           Reste à s’interroger sur l’origine de ces contes et sur le moment de leur apparition dans la culture orale du village. Bien évidemment, s’agissant de tradition orale, les éléments de réponse sont souvent bien faibles et nous ne pouvons, en l’état actuel de nos connaissances, que soulever la question et avancer seulement avec certitude que ces quelques contes avaient cours dans les années 1930 et que de nombreux Molliérois de cette génération que nous avons rencontrés, les connaissaient tous. Leur attestation en un lieu et à un moment précis est donc le seul point fiable. Pour approfondir leur origine et élaborer une forme de datation, il faudrait consulter des recueils de contes des villages avoisinants, tant dans la Vésubie et la Tinée que du côté piémontais où les gens de Mollières avaient un grand commerce, où ils fréquentaient régulièrement les foires, les cafés et où ils avaient aussi parfois du cousinage (mais cela restait très marginal).

           Voici toutefois quelques éléments susceptibles de nourrir cette recherche des origines :

           D’une part, nous connaissons quelques récits humoristiques dont la chute ou les bons mots sont en piémontais, d’autres qui évoquent un nom de village de l’arrière-pays niçois : cela est suffisant pour attester un certain réseau d’échanges, une circulation des populations et des récits dans un certain périmètre, comprenant d’une part les hautes vallées niçoises (principalement la Tinée pour ce qui concerne les échanges avec Mollières) et d’autre part les vallées piémontaises de la Commune de Valdieri dont dépendait Mollières. Les récits humoristiques me semblent à ce jour généralement importés.

           Par ailleurs, mon grand-père m’avait plusieurs fois fait mention d’un « livre » - ce qui était chose plutôt rare - qu’un Molliérois aurait rapporté d’Italie et dans lequel auraient figuré certains des contes que nous transcrivons ici : mais lesquels ? Tous ou certains seulement ? Ces contes seraient alors d’origine très récente dans la culture orale molliéroise et issus d’un autre fonds plus large, italien ou international.

           Toutefois, certaines légendes intègrent si fortement la toponymie locale que l’on peut se demander s’ils sont de conception intégralement locale - une vraie littérature orale locale donc - ou bien si les conteurs molliérois ont adapté à leur environnement certains contes qu’ils avaient reçus de l’extérieur : dans ce cas encore, il s’agirait toujours de littérature orale authentique, puisque c’est bien une caractéristique typique de la littérature orale que d’être sans cesse vivante, en mouvement, en perpétuelle élaboration, chaque conteur apportant sa touche personnelle au récit. Moi-même,en transcrivant ces histoires, de surcroît en français, et bien que j'aie cherché à être le plus possible fidèle à ce que j'ai entendu, je les ai bel et bien racontées à ma façon...