La vie autrefois : les forêts et leur exploitation
Depuis l’embouchure du Vallon de Mollières dans la Tinée, nous trouvons grosso modo quatre types de forêt. Nous avons d’abord sur la rive gauche (Commune de Saint-Sauveur) le Bois Noir, domaine du sapin avec quelques pins au plus bas : c’est la région où la croissance des arbres et la plus rapide. Sur la gauche (également commune de Saint Sauveur) le flanc de la montagne est très accidenté. Les surfaces moins rocheuses sont peuplées de pins avec quelques mélèzes au plus haut. Il y a ensuite les forêts à prédominance de mélèze qui longent la rive droite à partir du Caire de Fremous, et le Velay ( ce dernier étant sur la commune de Rimplas). Sur la rive gauche, à partir de la limite de Rimplas jusqu’au Col Salèzes, c’est le sapin avec toutefois des zones à prédominance de mélèze. Dans la partie supérieure et à partir de 2000 mètres d’altitude pousse aussi le pin cembron (pin-cèdre), dont le bois était très apprécié par les menuisiers locaux pour être facile à façonner avec des outils à main, son extraordinaire longévité en milieu humide et sa particularité d’être (par son goût ?) inattaquable par les rats.
Depuis des temps immémoriaux, ces forêts ont été exploitées. La vente des coupes était le principal revenu des Communes et l’occasion pour les autochtones d’arrondir leurs maigres revenus, en travaillant à la « fattura » aux époques creuses. Cette dénomination (fattura) désignait tous les travaux découlant de la coupe-abattage, bien entendu à la hâche, ébranchage, pelage de l’écorce, recalage en bas de la forêt et traînage à l’aide des mulets lorsque les troncs ne glissaient pas tout seuls. La vente d’une coupe par la Commune donnait aussi l’occasion aux particuliers de vendre quelques arbres de leurs terrains privés.
Ce que les jeunes, et même les moins jeunes de notre génération peuvent trouver original, c’est le moyen de transport jusqu’à la plaine du Var où arrivait à peine le chemin carrossable avant 1860, époque du rattachement du Comté de Nice à la France.
C’étaient les cours d’eaux qui étaient chargés de faire ce transport. Voici comment cela se passait. Les grumes de longueur réduite - la règle était dix « palms » (empans), soit environ 2,50 mètres - étaient traînés par des mulets ou des bœufs au plus près du torrent. En amont il y avait au moins une écluse. Cette écluse était formée en un lieu propice pour retenir les eaux en formant un petit lac artificiel. Il est vrai que ce remblais formé par des pierres, des branchages et de la terre n’était pas hermétique, mais le lac finissait par se remplir. Au moment voulu, on ouvrait la vanne, le torrent se gonflait et emportait les troncs. Pendant l’opération, des hommes étaient placés tout au long du torrent, d’un côté et de l’autre, lesquels, à l’aide de crocs à long manche ( On appelait cet objet « lou ganchou ») tiraient ou poussaient les grumes qui se mettaient en travers, se croisaient, s’enchevêtraient. On répétait l’opération jusqu’à ce que tous les troncs aient été emportés jusqu’à l’écluse inférieure, et ainsi de suite.
Il est vrai que ce système n’était pas sans provoquer des dégâts aux terrains particuliers situés en bordure du torrent mais c’était une servitude qu’il fallait bien supporter.
Ensuite la Tinée et le Var se chargeaient d’emporter les troncs jusqu’à la plaine du Var (à peu près au lieu-dit Lingostière). Là, on les repêchait pour les charger ensuite sur les chariots. Il faut noter que là les grumes arrivaient pêle-mêle avec ceux provenant de la Haute Tinée et du Haut-Var par le même moyen, et appartenant à des exploitants divers. Or il faut savoir que chaque exploitant avait une marque particulière imprimée à la hâche sur chaque tronc, par exemple un M, un V, un X, tout comme les bergers ont encore aujourd’hui chacun sa marque particulière sur l’oreille du mouton. A ce moment donc, chacun prenait consciencieusement ce qui lui appartenait et laissait le reste.
Dans la vallée de Mollières, il y avait trois de ces écluses, dont il reste encore quelques traces : la première à partir du haut de la vallée, près de l’actuelle vacherie, la deuxième au confluent du Vallon du Barn de façon à capter les eaux de celui-ci, la troisième, la plus importante en raison de la situation des lieux, peu en aval du village, à environ deux cents mètres en amont de l’embouchure de vallon de la Vallette.
Mais comment était faite cette ouverture qui faisait fonction de vanne et comment fonctionnait-elle ?
Je sais comment elle était faite par la description de mes grands-pères et de mon père même et pour avoir vu les restes de celle située près du vallon du Barn. L’ouverture, d’environ 1,50 m sur 1,50 m, au point le plus bas, était encadrée par des poutres encastrées dans le remblais. Cette ouverture était fermée par une espèce de porte en bois très épaisse et solide. J’ignore le système employé pour ouvrir cette porte lorsque le lac était plein. C’était le secret des éclusiers qui se le transmettaient de père en fils.
Un chemin pour les chariots à chevaux a été aménagé vers 1888, c’est-à-dire après l’ouverture de la route de la Tinée. Le premier à en bénéficier a été l’entreprise Andréani de Nice, qui avait installé en contrebas de la vacherie une scierie rudimentaire, pour dégrossir les troncs qui autrement n’auraient pu être transportés sur des chariots à écartement maximum de un mètre, tel que le permettait le chemin. Les chariots circulaient encore en 1939, à la veille de la déclaration de guerre. Depuis, l’entretien a été négligé de sorte que, tant d'années après, certains seraient tentés de penser que cela n’était pas possible. Et pourtant la preuve de Saint-Thomas est bien inscrite sur les roches qui constituaient ce chemin et, gravée dans le granit, l'usure profonde provoquée par les multiples passages des roues apparait encore ça et là, sous les pas du promeneur attentif, particulièrement dans les parages de la Liouma.
Vers l’année 1927, un exploitant italien, ayant acheté de la Section de Mollières une coupe d’environ 5000 m3, installait une scierie hydraulique digne de ce nom, dont on peut encore voir les ruines et quelques débris de machines en contrebas du village. Mais cette scierie, bien que fonctionnant du point de vue mécanique à la satisfaction de son constructeur, ne s’avéra pas rentable. La cause principale, certainement pas la seule, en a été le droit de douane que dut payer cet exploitant sur le bois manufacturé en vertu d’un article du Traité franco-sarde de 1861, comme cela est expliqué par ailleurs.
L’entreprise Andreani avait obtenu une dérogation en raison de l’intransportabilité par chariots des troncs de cette coupe d’une grosseur exceptionnelle.
Depuis des temps immémoriaux, ces forêts ont été exploitées. La vente des coupes était le principal revenu des Communes et l’occasion pour les autochtones d’arrondir leurs maigres revenus, en travaillant à la « fattura » aux époques creuses. Cette dénomination (fattura) désignait tous les travaux découlant de la coupe-abattage, bien entendu à la hâche, ébranchage, pelage de l’écorce, recalage en bas de la forêt et traînage à l’aide des mulets lorsque les troncs ne glissaient pas tout seuls. La vente d’une coupe par la Commune donnait aussi l’occasion aux particuliers de vendre quelques arbres de leurs terrains privés.
Ce que les jeunes, et même les moins jeunes de notre génération peuvent trouver original, c’est le moyen de transport jusqu’à la plaine du Var où arrivait à peine le chemin carrossable avant 1860, époque du rattachement du Comté de Nice à la France.
C’étaient les cours d’eaux qui étaient chargés de faire ce transport. Voici comment cela se passait. Les grumes de longueur réduite - la règle était dix « palms » (empans), soit environ 2,50 mètres - étaient traînés par des mulets ou des bœufs au plus près du torrent. En amont il y avait au moins une écluse. Cette écluse était formée en un lieu propice pour retenir les eaux en formant un petit lac artificiel. Il est vrai que ce remblais formé par des pierres, des branchages et de la terre n’était pas hermétique, mais le lac finissait par se remplir. Au moment voulu, on ouvrait la vanne, le torrent se gonflait et emportait les troncs. Pendant l’opération, des hommes étaient placés tout au long du torrent, d’un côté et de l’autre, lesquels, à l’aide de crocs à long manche ( On appelait cet objet « lou ganchou ») tiraient ou poussaient les grumes qui se mettaient en travers, se croisaient, s’enchevêtraient. On répétait l’opération jusqu’à ce que tous les troncs aient été emportés jusqu’à l’écluse inférieure, et ainsi de suite.
Il est vrai que ce système n’était pas sans provoquer des dégâts aux terrains particuliers situés en bordure du torrent mais c’était une servitude qu’il fallait bien supporter.
Ensuite la Tinée et le Var se chargeaient d’emporter les troncs jusqu’à la plaine du Var (à peu près au lieu-dit Lingostière). Là, on les repêchait pour les charger ensuite sur les chariots. Il faut noter que là les grumes arrivaient pêle-mêle avec ceux provenant de la Haute Tinée et du Haut-Var par le même moyen, et appartenant à des exploitants divers. Or il faut savoir que chaque exploitant avait une marque particulière imprimée à la hâche sur chaque tronc, par exemple un M, un V, un X, tout comme les bergers ont encore aujourd’hui chacun sa marque particulière sur l’oreille du mouton. A ce moment donc, chacun prenait consciencieusement ce qui lui appartenait et laissait le reste.
Dans la vallée de Mollières, il y avait trois de ces écluses, dont il reste encore quelques traces : la première à partir du haut de la vallée, près de l’actuelle vacherie, la deuxième au confluent du Vallon du Barn de façon à capter les eaux de celui-ci, la troisième, la plus importante en raison de la situation des lieux, peu en aval du village, à environ deux cents mètres en amont de l’embouchure de vallon de la Vallette.
Mais comment était faite cette ouverture qui faisait fonction de vanne et comment fonctionnait-elle ?
Je sais comment elle était faite par la description de mes grands-pères et de mon père même et pour avoir vu les restes de celle située près du vallon du Barn. L’ouverture, d’environ 1,50 m sur 1,50 m, au point le plus bas, était encadrée par des poutres encastrées dans le remblais. Cette ouverture était fermée par une espèce de porte en bois très épaisse et solide. J’ignore le système employé pour ouvrir cette porte lorsque le lac était plein. C’était le secret des éclusiers qui se le transmettaient de père en fils.
Un chemin pour les chariots à chevaux a été aménagé vers 1888, c’est-à-dire après l’ouverture de la route de la Tinée. Le premier à en bénéficier a été l’entreprise Andréani de Nice, qui avait installé en contrebas de la vacherie une scierie rudimentaire, pour dégrossir les troncs qui autrement n’auraient pu être transportés sur des chariots à écartement maximum de un mètre, tel que le permettait le chemin. Les chariots circulaient encore en 1939, à la veille de la déclaration de guerre. Depuis, l’entretien a été négligé de sorte que, tant d'années après, certains seraient tentés de penser que cela n’était pas possible. Et pourtant la preuve de Saint-Thomas est bien inscrite sur les roches qui constituaient ce chemin et, gravée dans le granit, l'usure profonde provoquée par les multiples passages des roues apparait encore ça et là, sous les pas du promeneur attentif, particulièrement dans les parages de la Liouma.
Vers l’année 1927, un exploitant italien, ayant acheté de la Section de Mollières une coupe d’environ 5000 m3, installait une scierie hydraulique digne de ce nom, dont on peut encore voir les ruines et quelques débris de machines en contrebas du village. Mais cette scierie, bien que fonctionnant du point de vue mécanique à la satisfaction de son constructeur, ne s’avéra pas rentable. La cause principale, certainement pas la seule, en a été le droit de douane que dut payer cet exploitant sur le bois manufacturé en vertu d’un article du Traité franco-sarde de 1861, comme cela est expliqué par ailleurs.
L’entreprise Andreani avait obtenu une dérogation en raison de l’intransportabilité par chariots des troncs de cette coupe d’une grosseur exceptionnelle.