La vie autrefois : les travaux et les jours, le calendrier des activités au fil des saisons

Entretien réalisé au printemps 2008 avec François GIUGE, né à Mollières en 1926, autour du thème des activités quotidiennes à Mollières au cours d'une année :

Alors l'hiver les Molliérois jouaient beaucoup à des jeux ?

Oui bien sûr, à des jeux souvent venus d'Italie, comme des jeux de cartes, le « tresette » italien principalement et le « vitou » qui étaient les deux jeux de cartes vraiment dominants, mais on trouvait aussi à Mollières le jeu de « scoppa » très répandu en Italie, et introduit à Mollières par les fascistes et les carabiniers : c’était eux surtout qui y jouaient et des Molliérois qui allaient jouer avec eux à la caserne. Sinon, il y avait le jeu de dames, vers la fin, qui faisait le plaisir de quelques rares Molliérois, et en particulier du curé Prandi vers 1935-40, les dames italiennes d’abord, puis les dames françaises qui étaient souvent plus appéciées par leur caractère plus dynamique. Mais le jeu de dames demeurait un jeu assez marginal, plus intellectuel, dirons-nous.

Mais c’était surtout l’hiver que l’on jouait …

Ah oui, bien sûr, car l’été il n'en était pas question. L'hiver en effet ils n'y avait pas grand-chose à faire, hormis nourrir les bêtes et faire du bois pour le soir. Et puis le soir on veillait jusqu'à tard, ça oui vraiment, souvent jusqu'à 11 heures du soir, alors il fallait des tas de bois pour le feu. Vers 10 heures du soir on faisait le café, et puis quelquefois on sortait la « tomme grasse », oui l'hiver les tommes sont plus grasses, parce que le lait donne moins de crème, donc la crème reste dans le fromage au lieu d'aller dans le beurre ; on met le lait dans des plats larges, et de temps en temps on enlève la crème qui se forme, on la place dans un autre plat et quand il y en a assez on fait le beurre, mais l'hiver la température fait qu'il y a moins de crème, alors le fromage reste plus gras. Donc dans la veillée, après le café, on mangeait encore un morceau, des gourmandises en fait, la tomme grasse ou bien une « tourte » (gâteau de type quatre-quarts plat et large) ou bien la « fiocca » (crème Chantilly parfumée au chocolat râpé ou à la poudre de café), on bavardait, on racontait des histoires, on jouait aux cartes ou à divers jeux de mains, comme la « moura » ou la « muta », les femmes tricotaient tout en bavardant, et voilà. Ca durait jusqu'au mois de mars, avril, parce qu'après, au mois d'avril, il fallait déjà commencer à enlever les pierres des champs de blé (« espeirajàr »).

Alors, le premier travail, c’était de ramasser les pierres…

Oui, quand on laboure pour semer le trèfle, entre les rangs de blés, il faut enlever les plus grosses pierres, et c’est ça qui forme tous ces clapiers qu’on voit là entre les champs. Bien sûr, chaque fois qu’on laboure, ça fait sortir des pierres. Et puis c’était la saison de mettre du fumier pour les pommes de terre. Il fallait porter le fumier là où ils voulaient planter les pommes de terre, et même dans les prés ils en portaient. Pour les pommes de terre, ils en faisaient d’abord des tas dans les champs, qu’ils étendaient au moment de labourer.

Ils avaient donc beaucoup de fumier ?

Disons qu’ils fumaient toujours les pommes de terre, parce que derrière les pommes de terre ils semaient le blé. Quand ils arrachent les pommes de terre, ils sèment le blé, et après, au printemps, lorsque le blé germe, il faut le biner (« chavar »), et là, on sème le trèfle en binant le blé, et après, l'été, quand on moissonne le blé, il y a le petit trèfle qui pousse dans le blé, et cela fait du fourrage pour l'année suivante.

Alors ça c’était pour le mois d’avril, et ensuite ?

Ensuite, au mois de mai, il fallait labourer, pour les pommes de terre, et puis, dans les prés, il fallait aller enlever des pierres aussi, il fallait préparer les canaux (les « bials ») pour arroser l'été les champs et les prés. Il fallait faire tout ça en suivant, tu commençais au mois de mai et puis tu t'arrêtais plus... Donc on plantait les pommes de terre au mois de mai, on les plantait dans des trous les uns à côté des autres, n’importe comment, parce que pour les arroser, on faisait couler l’eau dans le champ depuis le canal (le « bial ») en haut du champ, tout le long, et puis après, il fallait les biner aussi un peu plus tard.

Donc, au mois de mai, il y avait surtout des travaux de préparation ?

Oui, certainement, et puis après, il fallait commencer à faucher à la Liouma au mois de juin, et d’ailleurs, à la fin de l’hiver, vers la Saint-Joseph, on envoyait les vaches pâturer à la Liouma où l’herbe était plus précoce. En bas aussi, il fallait nettoyer les prés, arranger les canaux, tout en gardant les vaches. Au mois de juin, on arrosait parfois les champs, surtout s’il faisait sec, par exemple en haut à Chaissi, où on peut deviner encore aujourd’hui la marque des canaux dans les prés. Quelquefois il y avait un peu de sécheresse. Au mois de juillet, c'était autour du village qu'on fauchait, et au mois d'août, c’était plus haut, à Chaissi notamment. Et puis on gardait les vaches, chaque jour, à la belle saison, c’était le travail des enfants, on se réunissait à plusieurs pour garder. Moi et mon frère, à l'époque, on gardait les vaches de Callistou.

Ah, bon, et en échange de cette garde ?

Eh bien, on allait garder dans ses prés, sur ses « ouraias » (orées, bordures), oui, les prés c’est pas tout du pré, il y a des talus, des parties qu’on ne peut pas faucher, c’est là qu’on gardait les vaches, chacun en avait. Il fallait « apparier » le pré (« parar lou prà»)

Et les moutons, on les gardait aussi ?

Ah, mais ça, les moutons, ils allaient en montagne, en altitude, ou bien dans la forêt où il y avait des clairières (lous « clouotes »). Par exemple, nous, on les avait là-haut en face, aux « Bachasses ». Il y en a qui les avaient à Sclouos, à Stavels ou à la Valetta, ou alors au Barnoù. Nous, on avait pris ce quartier, et on allait les voir une fois par semaine.

Pourquoi ?

Parce qu’elles, les brebis, elles montaient toujours haut, sur les crêtes, alors on les faisait redescendre à la source (la « fouont das Bachasses ») et puis, surtout, on leur apportait le sel. Alors, là, elles buvaient, on leur donnait le sel et puis on s’en allait et elles, elles remontaient là-haut.

Donc, chacun avait son quartier ?

Oui, c’était comme ça, parce que sinon elles se mélangeaient.

Elles avaient des marques ?

Oui, des marques à la peinture, mais surtout à l’oreille, une entaille devant, une entaille derrière ; les nôtres avaient un trou à l’oreille, qu’on faisait avec un poinçon, on mettait l’agneau, comme ça là-dessus, et paf ! on frappait et l’agneau filait aussitôt. Il me semble que nous, on avait l’oreille droite, et après il y avait les « Palaisses » (familles de Barnabé et de son frère Pinou qui habitaient au quartier du « Palai ») qui avaient adopté la marque du trou, alors eux, ils avaient pris l’oreille gauche. Et puis il y avait ceux qui faisaient une entaille à l’oreille gauche, d’autres à la droite, sur le devant de l’oreille, d’autres derrière, certains à la pointe, d’autres se contentaient de couper la pointe, chacun avait sa marque.

On utilisait aussi la peinture ?

La peinture, c'était plutôt lorsqu'on réunissait deux troupeaux, alors on mettait la même marque à la peinture sur la laine de tout le troupeau, pour le distinguer des autres, mais chaque propriétaire avait sa marque à l'oreille.

Donc au mois de juillet on faisait tout ça, et puis on moissonnait ?

Oui, on moissonnait, on faisait des petits tas de gerbes (la « jarbas ») en pointe, les unes debout contre les autres et une en travers sur le sommet (« lous jarbairouns »), et on les laissait là quelques jours, une semaine avant de les battre (« escoùïre »), il fallait qu’ils sèchent un peu, mais il ne fallait pas qu’il pleuve, et s’il pleuvait, il fallait attendre qu’il fasse beau à nouveau, et après il fallait les rentrer. On les rentrait à l'intérieur, dans un grenier, une grande pièce faite pour ça. Là on les battait un peu, on les secouait plutôt, en gros, on faisait tomber le plus gros, et puis on les entassait d'un côté de la pièce pour les battre complètement avec le fléau (lu « faièl ») plus tard, quand on avait le temps. Il fallait faire d'abord ce qui était le plus urgent, car s'il fallait aller arroser, ça n'attendait pas. On arrosait le mois de juillet et aussi le mois d'août, les pommes de terre par exemple, et quelquefois le blé aussi, il fallait l'arroser, et les prés. Et puis on ne pouvait pas arroser tous les jours parce que l'eau était répartie («l’aiga èra partié »). Bien sûr, s’il ne faisait pas sec, on ne répartissait pas l’eau.

Comment se faisait le partage de l’eau ?

Il y avait une réunion, dirigée par le Vice-maire, à la « Maison commune » (la « Coumuna ») : admettons par exemple qu’on répartissait l’eau du Triboulet (un des vallons qui descendent vers les champs), on procédait par ordre, en demandant à chacun ce qu’il avait, des pommes de terre ou du blé par exemple, et on attribuait un nombre d’heures d’arrosage selon les culture, et puis on tirait ensuite au sort l’heure de l’arrosage, parce qu’en plein été, si c’était sec, on arrosait jour et nuit, et on allait alors arroser à la lampe ! Et si tu n’avais pas fini d’arroser, quand c’était l’heure, le suivant te « coupait » l’eau (c’est à la houe qu’on ouvrait le canal vers son champ en colmatant les autres sorties). Dans certains villages, l'eau était répartie en permanence, mais nous, à Mollières, on ne la répartissait qu'en période de sécheresse. Les pommes de terre et le blé avaient la priorité, mais on arrosait aussi les prés. Avec la répartition, il y avait aussi des disputes !

Et la maison commune abritait aussi d'autres réunions ?

Non, ça, je ne m'en souviens pas. Dans l'ancien temps, la maison commune abritait le « Mount » (une sorte de mont-de-piété), c'était une réserve de blé, dans laquelle on pouvait venir emprunter si on était à court de blé en fin de saison, avant la nouvelle récolte, et après la récolte, on rendait ce qu'on avait pris avec un petit pourcentage en plus. Ça c'était vraiment avant, peut-être jusqu'au milieu du XIXe siècle, mais après la première guerre, il n'y avait plus de famine, ça avait disparu.

Il y avait un ordre précis dans les cultures ?

Oui, tout à fait. Prenons un champ : cette année il y a les pommes de terre, puis quand on arrache les pommes de terre, on sème le blé, c'est en septembre (le blé en question, c’est du seigle bien entendu). L’année suivante, au mois de mai, on sème le trèfle (lou « trafueuil ») au milieu du blé qui commence à pousser, entre les rangs de blé, pendant qu’on le bine (« chavar ») et au moment de la moisson, il y a le trèfle qui pointe là-dedans, tout petit. Et l’automne, on emmène les vaches sur les prés qu’on a arrosés après le fauchage et qui recommencent à donner une petite herbe courte, alors là, on garde les vaches, on leur en donne une petite surface à manger chaque jour, et c’est la même chose avec le trèfle, on les garde et il ne faut guère leur en donner parce que le trèfle fait gonfler les vaches si elles en mangent trop. Ce sont des enfants qui les gardent. Alors, en septembre et octobre, les vaches mangent du jeune trèfle et ce n’est que l’année suivante que le trèfle donne du fourrage, et le trèfle donnait des quantités énormes de fourrage. Et après le trèfle, on plantait à nouveau des pommes de terre, et là, après le trèfle, il y avait une récolte de pommes de terre formidable. Et voilà, ça tournait comme ça : pommes de terre, blé, trèfle, pommes de terre… Et le fumier, c’était au moment des pommes de terre.

Et le mois de septembre ?

Eh bien, au mois de septembre, il faut arracher (« traire ») les pommes de terre (las « tartiflas »)et puis, en octobre, c’était la récolte des raves et des choux, comme dit le proverbe, « Toussans es, jugnès rabas e chaoulés », c’est la Toussaint, rentrez les raves et les choux.

On faisait beaucoup de raves et de choux ?

On en faisait une planche de chaque (« éna faissa »).

Cultivait-on autre chose dans les champs ?

Quelquefois il y avait des pois chiches (« chèchous »), et des lentilles aussi, souvent, il fallait bien les laver, car elles avaient des pierres. Je me rappelle que ces lentilles qu’ils faisaient, il fallait bien les laver, sinon elles craquaient sous la dent (« crésinavan ») ! Mais ils n’en faisaient pas beaucoup de ça, ils en semaient un petit morceau. Et pour les choux (lous « chaoulés »), ils se faisaient le plant, qu’ils appelaient « lou chaoulà », c’est-à-dire le semis de choux, ils faisaient ça dans les jardins qui environnaient le village (« lous ouòrtes »), avec les autres légumes de l’été, la salade et les carottes (lous « niffes »). Ils achetaient les graines de carottes et de salades et pour les hâter un peu au printemps, au mois de mai, ils paillaient les semis, pour conserver la chaleur.

Donc, les raves et les choux, on les rentrait dans les greniers ?

Oui, dans les combles (lous « coulmes »), au-dessus du foin, et plus tard, dans l’hiver, la neige passait entre les planches du toit et quand on allait chercher un choux, souvent il était gelé, d’ailleurs le froid les conservait pendant tout l’hiver.

Quels étaient les autres travaux des mois d’octobre et de novembre ?

En octobre et novembre, il fallait faire le bois, oui le bois et la litière pour les bêtes (lou « jas »), il fallait ramener de la litière pour l’hiver (« réchampar de jas»), c’était par exemple des feuilles d’arbres qu’on remontait de la Liouma, et on utilisait aussi beaucoup pour la litière les aiguilles de mélèzes (la « senis »), qu’on ramenait d’en face dans de grands draps de toile noués (lous « flouriers »), mais chaque année il fallait changer d’endroit, on ne pouvait pas les ramasser chaque année, sinon il n’y en avait presque pas, il fallait donc souvent aller loin. Oui, c’était une drôle de vie, quand même.

Et le bois aussi, ça devait être un gros travail, parce qu’on en consommait beaucoup, l’hiver pour se chauffer, mais toute l’année aussi, même l’été, pour cuisiner, pour faire le café ?

Ah oui, c’est sûr, il en fallait. Et quand on montait vers Chaissi ou Guèra, pour travailler, l’été, on montait avec la mule et le soir on ramenait toujours un fagot de branches (« en fai de branchas »). Et alors, pour faire le bois de l’hiver, on le faisait dès qu’on avait un moment l’automne après les récoltes. On montait le long de la rivière vers Chaissi, par là-haut, on coupait des mélèzes à la hâche, bien sûr c’était le mélèze qu’on prenait pour se chauffer, pas le sapin qui était par contre le bois pour le four, parce qu’il brûle vite. Donc on coupait des deux, sapin (« serenta ») et mélèze (« mêle »). Et on tirait les grumes (las « jainas ») derrière la mule, avec une corde accrochée au grume par un anneau muni d’une pointe plantée en tête de la bille (lou « coumangloù »). Et on en tirait (« estirassàr ») des quantités jusqu’au village. Nous on entassait les grumes sous le moulin, et tout l’hiver on sciait à la scie à deux hommes (la « troumpéliéra »), on le fendait (« estelar » ou « esclapar ») et on l’entassait sous une cabane contre la maison. D’autres les resciaient en longueurs de 80 cm environ et les refendaient en deux avec des coins (lous « cougnés »), puis les empilaient debout les uns contre les autres le long de la rivière, du côté du village, tout ça pour qu’ils sèchent plus facilement, et puis ils allaient les récupérer durant l’hiver, ce qui fait que même sous la neige, empilés comme ça, on pouvait toujours les voir, et il fallait le scier encore une fois pour les faire entrer dans le poële (« l’estuva »).

Donc il fallait beaucoup de bois aussi pour le four ?

Oui, bien sûr. On faisait le pain toutes les deux ou trois semaines et alors là on faisait passer un gros tas de bois (du sapin). Enfin, chaque jour ou presque, il y avait quelqu’un qui faisait le pain, alors le four restait chaud, mais si pendant une semaine personne n’avait fait cuire, alors là il fallait beaucoup de bois. Et alors, il y en avait qui choisissaient le moment de faire le pain, ils attendaient, même s’ils n’avaient presque plus de pain, que quelqu’un le fasse pour cuire leur pain juste derrière ! Et la clé du four, c’était le dernier à avoir fait le pain qui la gardait ; donc, pour faire le pain, il fallait aller chercher la clé chez celui qui l’avait, eh oui, c’était l’usage !